Ian Kent
L'émission "blues" de radio RDL Colmar animée par Jean-Luc et David BAERST

 

Ian, après une première écoute de ton album « Trick Bag » (Mosaic) je me suis rendu compte que celui-ci ferait une parfaite bande originale pour un road-movie.
Ta vie a-t-elle, justement, beaucoup de similitudes avec un road-movie ?

Oui, bien qu’il faille avouer que je suis plus sédentaire maintenant que durant mon adolescence. Inévitablement, comme j’ai fait de nombreux voyages, cela se retrouve dans ma musique. Je n’hésite pas à en parler car certains de mes morceaux sont autobiographiques. Ils racontent mes pérégrinations en stop à travers les Etats-Unis, par exemple…

De plus, j’aime beaucoup les road-movies alors pourquoi pas ?

Les gens que tu évoques sur ce disque ont-ils réellement existé ?
Il y a un morceau sur l’album « Central New York Blues » dans lequel j’évoque un individu nommé Craig. Ce dernier, tu peux le voir sur cette photo derrière la plaque (Ian me désigne alors la dite photo, Nda) et il a absolument existé. Dans les autres titres comme « Tijuana », il s’agit de créations de ma part.

Depuis la sortie de cet album, il est devenu de bon ton de comparer ton parcours avec celui de l’écrivain Jack Kerouac (également poète et chef de file de la Beat Generation dans les années 50, Nda).

La littérature constitue-t-elle une source d’inspiration pour toi et est-ce que, pour un titre comme « Jail Song », tu as puisé ton imagination chez d’autres auteurs mythiques de la littérature américaine tels que Edward Bunker ou Caryl Chessman (qui passèrent une grande partie de leurs vies derrière les barreaux, Nda) ?
En réponse à la première partie de ta question, sur l’aspect littéraire, je dirais oui. Je n’aurais probablement pas entrepris tous ces voyages si je n’avais pas lu « On The Road » lorsque j’avais 16 ou 17 ans. Cela a été une source d’inspiration, bien plus en ce qui concerne le mode de vie que par rapport à la musique.
Ils viennent de sortir « The original scroll » qui est l’œuvre complète avant que Kerouac ne fasse toutes les corrections et les raccourcissements avant de la publier. Dans ce livre il y a tout un tas de diatribes contre la musique Hillbilly car les beatniks d’alors adoraient le Jazz. Musicalement, je me situe assez loin du Be Bop, c’est évident…

Sinon en ce qui concerne les personnages, c’est un peu les lieux communs et les sentiers battus, la recherche de liberté, de soi-même etc…
Le côté « voyage initiatique » a clairement été une inspiration.
En revanche pour « Jail Song » c’est moins vrai. A une époque, j’écoutais beaucoup Merle Haggard (immense chanteur et compositeur américain de Country qui a fait beaucoup de prison avant de s’en sortir grâce à la musique, Nda). Il a passé un certain temps en prison pour ne pas dire un temps certain…
Il m’a davantage inspiré, pour ce morceau, que Caryl Chessman ou ces gens-là.

Tous ces voyages t’ont-il servi pour te forger une identité de musicien ? Au fil de tes arrêts dans les différents états américains, as-tu rencontré des musiciens qui t’auraient aidé à peaufiner ton style ?
Oui…
Il y a des éléments sporadiques. Effectivement, j’ai eu l’occasion de faire des jams avec les gens que je rencontrais sur place. Cependant quand tu voyages en stop dans les conditions où je le faisais, c’est assez instable.
La guitare me servait surtout de consolation, voire, m’aidait à gagner un peu d’argent en jouant dans les rues. Je n’ai pas joué tant que ça avec d’autres gens car les musiciens sont plus occupés à trouver des dates ou enregistrer des albums.

C’était plus une espèce d’exil que des vacances à proprement parler. Je croyais que j’étais parti pour toujours et me voyais comme devenant le poète des routes américaines dans la plus pure tradition…
La réalité a fait que je suis retourné en Fac à peu près deux ans plus tard, complètement fauché et horrifié par toute cette expérience (rires).

Musicalement, j’ai surtout peaufiné ma technique de Bluegrass quand j’étais sur la route car justement, comme je n’avais personne avec qui je pouvais jouer, j’en ai profité pour travailler tous les trucs que je jouais mal ou à moitié…

Justement, pourrais-tu revenir sur ton véritable apprentissage de la musique. Etais-tu autodidacte, peux-tu me parler de tes influences ?
Je suis autodidacte…
Au début, mon frère m’a filé une feuille avec des accords griffonnés dessus en me demandant de les apprendre. J’étais un peu réticent mais, grâce à des menaces de sa part, j’ai fini par les apprendre (rires).
Quand j’étais petit, nous écoutions beaucoup les Beatles dont nous essayions de reproduire les belles harmonies vocales. L’idée de chanter en chœur est venue en même temps…

Par la suite, arrivé à Syracuse, j’ai rencontré le fameux Craig qui était un grand fan du Grateful Dead. Dans un premier temps, nous faisions un mélange de Bluegrass, de Blues et nous essayions de rendre cela aussi psychédélique que possible.
A partir de ce moment-là, la guitare a commencé à devenir autre chose que juste un « truc » pour attirer les gonzesses. Je commençais à reconnaître ce que j’entendais sur les disques ainsi qu’à voir ce que le musicien était probablement en train de faire.
A cette période, je me suis beaucoup intéressé au Bluegrass puis au Blues. J’ai eu pas mal de groupes de Blues, ce qui permet de peaufiner une certaine technique. Après j’ai eu un groupe de Folk Rock avec lequel il m’est même arrivé d’attaquer des morceaux tziganes et de Folk irlandais mélangés à du Folk américain. Cela a représenté un énorme pas technique dans ma carrière.

À ce moment-là, j’ai appris des accords un peu plus Jazz que l’on peut retrouver dans le Western Swing. C’est une musique très Country Hillbilly dont les accords sont déjà très influencés par la musique de Duke Ellington ou de gens comme lui.

A la fin de ce groupe, le batteur Marc Varez (ex Vulcain) a monté un groupe nommé Blackstone et m’a proposé de chanter avec lui.
Au début je trouvais cela un peu  étrange. J’écoutais Deep Purple, Led Zeppelin, Black Sabbath comme tout le monde quand je grandissais, mais j’avais laissé cela de côté. Je me demandais aussi si j’était physiquement et techniquement capable de faire ce genre de choses.
Finalement il s’est avéré que Marc ne cherchait pas un chanteur de Heavy Métal mais voulait que je chante avec ma propre personnalité et qu’on « adapte la sauce » au fur et à mesure. J’ai alors beaucoup appris au niveau de l’écriture car je suis devenu l’auteur de ce groupe qui existe toujours.
J’en ai aussi profité pour perfectionner ma technique de guitare slide dont je venais juste de commencer la pratique…

Tes autres expériences professionnelles, telles que journaliste ou interprète, ont-elles aidé sur un point de vue créatif  le songwriter que tu es ?
Oui mais pas de manière directe. Je vois beaucoup les choses en termes de langage…
Le fait d'être obligé de t'adapter à un langage, quand tu écris en tant que journaliste, par exemple, te fait mieux comprendre ce que doit être une chanson. Un certain nombre de caractéristiques correspond à chaque style.  Quand j’ai commencé à écrire des chansons, j’écrivais des poèmes et je faisais en sorte qu’ils soient assez structurés pour aller avec la musique…

En écoutant et travaillant, je me suis rendu compte qu’une chanson c’est plus que ça…
Il n’y a que Bob Dylan qui arrive à faire ce genre de choses parfois. Et encore, il prend les règles des chansons tout en les tordant. Cela reste une variante sur un thème quelque part…

Toutes les expériences, de toute manière, aident à l’écriture.
De même, quand j’ai appris à jouer de la mandoline, j’ai eu peur de perdre mon niveau de guitare alors qu’au contraire, ce sont des choses qui se nourrissent.

En tout cas, ces expériences t’ont permis de rencontrer d’autres artistes comme Eric Bibb. Quand tu étais leur interprète-traducteur, leur demandais-tu des conseils et leur parlais-tu de ta musique ?
Je leur parlais de ma musique même si, à un certain niveau, je l’avais « mauvaise » de rencontrer ces musiciens, dont j’aimais la musique et qui sont très sympas, car j’avais un côté envieux, je ne le cache pas…

Je leur disais que j’étais musicien et que je faisais l’interprète pour gagner ma vie.
Cependant, je pense que j’étais trop gêné ou arrogant pour leur demander des conseils (rires).

Tu es américain, tu vis en France, ton groupe est exclusivement constitué de musiciens français (The Immigrants est aussi constitué de Marc Varez à la batterie, Olivier Jargeais aux guitares, Sami Abes à la basse électrique et Thomas Rioux la contrebasse, Nda)…
(Ian me coupe alors mais répond involontairement à la question que je voulais justement lui poser sur l’origine du nom du groupe, Nda)
Oui mais Sami est à moitié kabyle (rires) !
J’ai décidé d’appeler ce groupe The Immigrants car je suis un immigrant en France et eux sont des immigrants, à un certain niveau, dans ma musique…

Comment expliques-tu que ces musiciens nés aussi loin des racines musicales américaines, et qui ont souvent des parcours assez éloignés de ces musiques, puissent par moment donner l’impression de sonner aussi « vrai » ?
J’en reviens à cette histoire de langage…
Pour moi le test, pour savoir si tu maîtrises bien une langue, est de pouvoir raconter des blagues dans cette langue. Cela veut dire que tu as acquis le rythme de cette langue car une blague, aussi drôle soit-elle, le sera beaucoup moins si elle n’est pas racontée avec le rythme qu’il faut.
C’est le même principe avec la musique. Une fois que tu comprends bien le langage, tu peux bien le parler…

En tout cas les musiques abordées sont assez diversifiées, on sent que tes influences sont variées. En écoutant ton disque, on a parfois l’impression d’être en plein milieu d’une session de Billy Lee Riley chez Sun au milieu des années 50 ou en plein trip Bluegrass.
Ce qui m’a frappé c’est la façon dont l’ensemble reste homogène. Comment expliques-tu cette cohésion aussi parfaite avec ces musiciens venus d’univers complètement différents ?

Je te remercie beaucoup car un de mes doutes terribles, en enregistrant, était cette cohésion. Le disque est aussi bien constitué de titres Rockabilly, puis Bluegrass, puis Soul etc…J’avais vraiment très peur qu’il n’y ait pas de cohésion. Ça me fait donc très plaisir quand des gens trouvent qu’il y en a.

Je pense que le fait qu’il y ait une personne qui, à la fois, chante et écrive donne déjà une certaine cohésion.
De plus, mes musiciens sont des gens très capables : ils savent s’adapter sans perdre leur âme. C’est un peu le stéréotype du musicien de studio qui peut faire de la chanson française dans la matinée, du Bluegrass dans l’après-midi et enregistrer une session Jazz le soir…!

Parfois à l’oreille cela ne vit pas forcément même si techniquement ce n’est pas critiquable. Mais quand les gens ont le talent, la disponibilité mentale et la disponibilité du cœur, je crois que tout est possible…

Pour eux ce doit être une immersion totale dans ton univers américain particulièrement roots. Est-ce qu’à l’inverse tu essayes aussi, maintenant, de te servir des formes de musiques que tu peux trouver en Europe et plus particulièrement en France ?
Pas tant que ça…
Ce n’est pas pour une histoire de goût ou une position quelconque, c’est une question de temps.
Entre les contingences de la réalité et mon métier, cela me laisse moins de temps que lorsque j’avais une vingtaine d’années pour explorer de nouveaux horizons musicaux.

Ce que je retiens de la chanson française, ce sont les choses que je pouvais écouter quand j’étais gamin car je n’écoute pas de musique française actuelle. C’était les grands classiques du genre Brel, Brassens…
Mon grand frère achetait les 45 Tours de Nino Ferrer et de Jacques Dutronc. Je trouve que sur un point de vue qualitatif, même si stylistiquement ça a peut-être vieilli, ça n’a pas bougé, c’est d’une grande qualité…

Quand j’écoute du Rock en français cela ne me gêne pas mais j’ai constamment la musicalité de ma langue maternelle qui me revient. De ce fait, j’ai l’impression d’entendre une resucée ou un produit dérivé, pas l’essentiel…
En revanche avec Nino Ferrer et Jacques Dutronc je trouvais que ça « rockait » pour de vrai sans qu’on se pose la question de savoir si c’est anglais ou français.
Je n’entends pas beaucoup ça dans la musique française actuelle …

Non seulement tu es parfaitement bilingue mais, en plus, tu n’as aucun accent. Est-ce un atout dont tu pourrais te servir, dans le futur, pour enregistrer des titres en français ou, au contraire, estimes-tu que ton univers musical ne colle pas du tout à cette langue ?
Never say Never, comme on dit chez moi, je n’ai pas mis une croix dessus…
Cela pourrait m’intéresser mais, dans ce cas-là, je choisirais un autre type de format musical. Je ne pense pas que je pourrais faire de la musique roots américaine avec des paroles en français. Ce que Nougaro a fait par rapport au Jazz, le côté manouche plus suggéré dans l’œuvre de Brassens n’ont pas d’égal…

Tiens, parmi les artistes plus actuels il y a un type que j’aime bien qui est Sanseverino, il prouve que le français se prête très bien au Swing manouche. ..

Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de sortir ton premier album solo ?
Je ne crois pas que j’avais les idées suffisamment claires pour le faire avant. J’ai toujours joué dans des groupes pour lesquels j’étais dévoué corps et âme, donc je n’avais pas le loisir d’y penser.

Je n’étais prêt ni mentalement ni techniquement. Je n’avais pas écrit assez de choses de la qualité que je voulais revendiquer.
Je manquais de maturité, même si je sais bien qu’il y a des gens qui ont commencé à écrire des chansons à l’âge de 18 ans. Cela n’a pas été mon cas, pendant longtemps j’écrivais mais jouais les titres des autres. Il m’aura fallu du temps pour arriver à combiner les deux (rires).

Quelle définition correspondrait le mieux à ce disque. Serait-ce simplement son titre « Trick Bag » ?
Ce titre était déjà celui d’un morceau de Earl King que nous faisons régulièrement sur scène. Je ne me souviens plus de la logique de la chose mais, au final, nous avons décidé de ne pas l’inclure dans l’album. C’est la première référence…

Dans un deuxième temps « trick bag » désigne un sac à malices ou une forme d’arnaque. J’aime bien ce côté-là même si j’espère que je n’arnaque personne avec la musique (rires) mais j’aime bien cette notion dans l’album.

Hors micro, tu me disais que tu avais déjà de nouveaux projets. Peux-tu y revenir ?
Oui, inévitablement un certain temps est passé entre l’enregistrement de l’album et sa signature chez Mosaic. Comme nous ne faisons pas que nous tourner les pouces, malgré les légendes qui existent sur les musiciens, j’ai commencé à écrire de nouveaux titres. Je dois en avoir 5 ou 6 qui sont déjà en chantier, ils ont des accords, une mélodie et des paroles…

Si j’étais Bob Dylan ou un chanteur de Folk en solo je pourrais déjà les faire comme ça. Comme je les veux plus orchestrés, il s’agit maintenant de mettre ces squelettes sur pieds !

Aurais-tu une dernière chose à ajouter à cet entretien ?
Non, je crois qu’on a couvert beaucoup de bases.
Cela me fait très plaisir de faire ce genre d’interviews afin de parler de cette musique qui me tient à cœur. Merci beaucoup !

Remerciements: Sophie Louvet, Isabelle Kratz et Willie Nelson dont le concert du soir même m’aura permis de retrouver Ian, Sami et Olivier dans un cadre idéal.

http://www.myspace.com/iankentandtheimmigrants

 

 

 

 

 

 
Interviews:
Les photos
Les vidéos
Les reportages
 

Les liens :

myspace.com/iankentandtheimmigrants

Interview réalisée
« Chez Ian » 
Fontenay-Sous-Bois

le 16 mai 2008

Propos recueillis par
David BAERST

En exclusivité !

 

Le
Blog
de
David
BAERST
radio RDL